roman graphique, etc.

vendredi 24 décembre 2010

La chenille

de Suehiro Maruo
d'après Edogawa Ranpo
Le Lézard noir
152 pages




En ces temps de festivités insouciantes et de consommation effrenée, le hibou se fait un devoir/plaisir pervers de vous rappeler les horreurs de la guerre. Parce que c'est moche, la guerre.





Bonne nouvelle pour Tokiko : son lieutenant de mari rentre vivant du front. Blessé, mais vivant. Lorsqu'elle le retrouve à l'hôpital militaire, elle découvre un homme-tronc, sourd et muet, le visage complètement raboté par de profondes brûlures. Malgré le dégoût qu'il lui inspire, et tenue par son rôle d'épouse de s'occuper à plein-temps de son bout d'homme, elle trouvera dans la langueur des journées une forme nouvelle de fascination sexuelle, toujours plus perverse, à la frontière entre l'amour et la haine.

Adaptant une nouvelle fois un texte de Ranpo, à qui certains attribuent la paternité du genre au Japon dans les années 1920, Maruo creuse son statut de maître de l'ero-guro (érotique-grotesque). Graphiquement maîtrisée, l'histoire est parcourue de passages surréalistes peuplés d'insectes humanoïdes, de sexes et de membres rampants dans les délires de Tokiko. Sa prison intérieure en somme, différente et imperméable à celle de sa chenille de mari dont nous ne saurons rien. Une histoire qui laisse les mains moites.

Présentation de l'éditeur :




Les éditions du Lézard noir

mercredi 24 novembre 2010

La planète des Vülves

de Hugues Micol
Les Requins Marteaux
144 pages




Deuxième tome de la récente collection "BD Cul" des Requins Marteaux, la Planètes des Vülves est un mix de SF, de satire politico-franchouillarde et... ben, de cul. Enfin, de vulves plus exactement.






Dans un futur pas si lointain, les peuples de la Terre ne produisent plus d’enfants de sexe féminin. Afin de pallier le manque de femmes dans notre cher et grand pays, le lieutenant-colonel Vaugirard et le chef Wang sont missionnés pour suivre un faisceau d’œstrogènes jusqu’à une planète du système Gamma qui hébergerait une race femelle compatible. Arrivés sur la planète Vülvia, ils découvrent que les superbes autochtones ne portent pas de culotte ! Mais ils ne sont pas les seuls sur le coup…

Complot et espionnage international, guerre larvée et chinoiseries sont au cœur de cette histoire, qui va bien au-delà du simple étalage de fesses. La narration est assez simple, fluide, les personnages sont éclairés par quelques flashbacks : certains sont gentils, d’autres méchants ou étrangers, et d’autres encore, font croire que oui mais en fait non.  C’est plein de nichons, drôle et absurde, et en même temps, il y a quelque chose d’assez vraisemblable dans ce qui pourrait arriver si une bande de mecs sexuellement frustrés (avec, à leur tête, un président à la nuque longue et blonde, nerveux par atavisme) commandaient à la survie du pays. Le noir est intense et le dessin, s'il ne plaira pas à tous, touche au but : susciter l'érec... l'émotion du lecteur. Bien sûr.  

La collection "BD Cul", dernière née chez les Requins, est une des trouvailles éditoriales de cette fin de décennie. Dirigée par Felder et Cizo, elle recrée en petit format une esthétique porno-kitsch-70’s surannée, aux couleurs criardes et aux accroches/fausses pubs vulgaires, qui font de ce numéro 2 un bel objet, sorti de nul part. On attend du beau monde pour les prochains : Killofer, Greg Mardon, Nine Antico, Blutch… Merde, quand il s’agit de cul, c’est important le don de soi.

lundi 8 novembre 2010

Les derniers dinosaures

de Didier de Calan
et Donatien Mary
Éditions 2024
64 pages



Dans la série des "etc.", voici le premier livre des éditions 2024. De la belle ouvrage : grand format, beau papier, impression en trichromie. C'est bon comme un Dinosaurus dans un verre de lait.








Certains psys expliquent la fascination des enfants de cinq ans pour les dinosaures par l'analogie que ceux-ci entretiennent avec les dragons et le fait que leur disparition brutale reste nimbée de mystères. Afin que les mensonges des scientifiques cessent de pervertir l'esprit de nos chères têtes blondes, les auteurs des Derniers dinosaures ont décidé de nous livrer la vérité vraie sur la fin de l'ère des macrosauriens.



Parodiant de livre scientifique du 19e siècle dans le style et dans la forme, le texte s'ingénie à mettre à mal toutes les théories existantes expliquant l'extinction des dinosaures, telle que l'ère glaciaire ou le réchauffement climatique. Suite à la découverte du Memorandum sur les macrosauriens et leur mode vie dans l'obscure bibliothèque de Bichkek, le narrateur, Basile Hannibal Lecoq, nous dévoile des pans entiers et méconnus des mœurs sociales de nos gros lézards d'aïeux. Finalement, ceux-ci se seraient constitués en société semblables à celles des hommes : retraites, médiation cultuelle et hygiène de vie (ils étaient tous végétariens, si si). Quant à leur disparition...


Véritable livre d'art, les Derniers dinosaures nous fait découvrir le travail de gravure sur bois de Donatien Mary, sorti des Arts déco de Strasbourg (comme Olivier Bron et Simon Liberman, éditeurs du livre, tiens tiens), et dont certains travaux ont parus dans la revue Écarquillettes (Mozart fucker) ou en jeunesse (Actes Sud, les Petits Platons). Un gars qui, je l'ai découvert sur son site, sait/peut dessiner comme Gus Bofa (Dessins/divers de son site : http://www.donatienmary.fr/).






Didier de Calan est breton, comme en témoignent les quelques références du texte, musicien et scénariste depuis plus de vingt ans, en plus d'être directeur de la pédagogie chez Nathan, ce qui est nettement moins marrant.

À l'occasion de cette sortie, les dessins du livre sont exposés et en vente à la librairie Super Héros, 175, rue saint Martin, Paris 3 (numérotés et signés). Donatien y sera d'ailleurs en dédicace le 12 novembre à partir de 17h.

Le hibou aura à l'œil la production des éditions 2024, souhaitons-leur bonne route jusqu'à la fin du système de retraite par répartition... 

Allons plus loin : les éditions, le collectif Troglodyte.


mardi 12 octobre 2010

Greenwich

de Jean Lecointre
Cornélius
152 pages











"Alors, voilà. Tu veux faire un blog qui parle de romans graphiques, déjà ça ne veut rien dire, et en plus tu ne t'y tiens pas. Je ne te parle même pas du fait que ça ne te rapporte pas une thune..." C'est en substance ce que m'a répondu mon conseiller en positionnement marketing lorsque je lui ai dit que j'allais poster une note sur le livre de Jean Lecointre. 
Donc oui, une erreur de positionnement assumée, et qui m'a fait ouvrir les yeux sur l'utilité de cet escroc.

Certain(e)s d'entre vous connaissent ledit Jean pour ses livres pour enfants (Thierry Magnier), pour ses Turkish delights, programmes courts pâtissiers diffusés sur Canal+ il y a quelques années, pour ses illustrations dans "Libération" ou pour la Balançoire de plasma (avec Pierre la Police), éditée en version intégrale en 2005 chez Cornélius. Greenwich, c'est complètement tout ça. Et tellement d'autres choses.



Des hommes-champignons attaquant d'innocentes demoiselles à l'orée du bois, une part de fraisier à tête de chien, un moustachu fièrement hot-dog, une voiture-tatou : voilà le genre de collages surréalistes que produit cet artiste atypique, adepte du morphing anthropomorpho-culinaire. Puisant sa matière dans les vieux magazines de mode, les romans-photos et la presse d'actualité, il crée sous son scalpel numérique des univers angoissants et hallucinés. Retraçant une quinzaine d'années de photomontages, le livre propose une vue d'ensemble de l'œuvre de l'auteur. À l'occasion de sa sortie, une exposition est organisée à l'espace EOF par Arts Factory à partir du 4 novembre.  




Cornélius nous offre un magnifique livre d'artiste : grand format à l'italienne, cartonné, dos toilé (une première série pour l'éditeur, introduite par Wilson de Daniel Clowes, sorti en septembre). Une idée cadeau pour toute la famille, si votre grand-mère prend du Temesta et votre petite sœur fume du crack...

Sortie le 21 octobre.


Voyez vous-même.











jeudi 7 octobre 2010

Asterios Polyp

de David Mazzucchelli
Casterman
344 pages



Je viens de finir la lecture d'Asterios Polyp et, comme  je m'en doutais, ça a été une énorme claque visuelle et narrative. C'est destructuré, grave, psychologique, artistique, héllenistique, fumeux, bigarré, métaphysique, désespéré, maîtrisé, graphique, tonal, orgueilleux.
Génial, en somme.



Asterios est un type brillant, architecte théoricien et universitaire, homme à femmes, fonctionnant sur un mode binaire, perpétuellement à la recherche de la perfection esthétique, chez lui comme chez les autres, et à tout niveau : création, mode de vie, langage… Autant dire qu’il est d’un cynisme et d’une arrogance qui forcent l’admiration des uns et exaspèrent les autres. Le genre qu’on adore détester. Au début de l'histoire, il vient de se faire larguer et le petit monde qu’il s’est créé finit de foutre le camp le jour de son cinquantième anniversaire, alors que le feu ravage son immeuble. Comme une bête acculée, il choisit de fuir aussi loin que la monnaie qu’il a en poche le lui permet.
   


Nous entrons alors dans un double récit, celui, chronologique, de son errance vers/à Apogee, chez les culs-terreux et l’autre, en flashbacks, qui nous éclaire sur la vie d’Asterios. Classique contemporain ? Déjà-vu, me direz-vous ? Possible. Mais ce livre ne se résume pas à ça. L’enchevêtrement des histoires offre une déconstruction psychologique du personnage comme on en a rarement vu d’aussi juste et complexe. On pourrait également parler des différentes techniques de dessins et de typographies que Mazzucchelli utilise pour caractériser ses personnages, la fonction des couleurs, les codes de la bédé qui explosent toutes les deux pages… Ou vous pourriez le lire, plus simplement. 

Les planches que Casterman a mis à disposition pour la diffusion ne sont pas à s'ouvrir le ventre. Du coup, on se repompe les visuels d'un site à l'autre, c'est dommage. Je voulais des images qui collent au propos, mais il est hors de question que j'abîme la reliure de mon exemplaire pour le scanner. Non mais.