roman graphique, etc.

lundi 23 mai 2011

Delcourt a 25 ans

À l'occasion de son anniv, Delcourt réédite en mai douze titres de son énorme catalogue en version un peu luxe : formats réhaussés, albums cartonnés, beau papier et de la sobriété dans le choix graphique. On imagine la difficulté pour l'équipe de choisir ces quelques titres, au détriment de tant d'autres.



Petite sélection dans la 
sélection...


Pourtant, si la priorité semble avoir été donnée à la réédition d'albums en one-shot ou d'intégrales de trilogie, apparaissent parmi les élus le tome 10 de Donjon Monsters de Sfar, Trondheim et Bézian et l'Origine de Marc-Antoine Mathieu (premier opus des aventures de Julius Corentin Acquefacques). Étrange de ne prendre qu'un seul tome d'une série...


Bon, au rayon qui nous intéresse, notons le retour de From Hell, de Moore et Campbell, fresque du Londres de l'époque victorienne retraçant de façon magistrale et très documentée l'énigme entourant Jack l'éventreur. Un must-have, comme à peu près tous les albums scénarisés ou livres écrits par ce génie mégalo qu'est Alan Moore (c'est complètement subjectif, bien entendu).




Réunir une trilogie en un album, voilà une idée éditoriale digne d'un anniv ! Le lecteur   dit merci, harassé par tant de séries qu'il ne parvenait plus à compléter, à cause des passages répétés du huissier qui vient lui en reprendre les premiers tomes, à cause qu'il n'arrive plus à payer les traites de la maison.
C'est chose faite pour Ayako du maître Tezuka, énorme histoire de famille dans la déchéance du Japon d'après-guerre, et New-York trilogie de Eisner, dont on ne parlera   
pas ici.





Mais y'a pas que les monstres sacrés dans la vie, y'a aussi les ptits gars de chez nous qui font le poloche bien bien. Citons Trois ombres de Cyril Pedrosa, parce que c'est une jolie allégorie, sensible et touchante et que le gars sait dessiner (la couverture n'est pas celle de la réédition, mais c'est la faute à Delcourt). Citons ensuite Pourquoi j'ai tué Pierre, d'Alfred et Olivier Ka. Dans mes souvenirs, c'est autobiographique et, même si j'ai été déçu de l'épilogue façon "roman photo", l'histoire est assez poignante et le dessin est très beau. Une illustration de ce qui pouvait arriver aux petits garçons qui partaient en colo avec des curés barbus, même s'ils avaient l'air gentil, et les conséquences à long terme de ce que vous pouvez imaginer.


Forcément, on peut penser qu'une telle sélection fera des mécontents, tant elle laisse de côté de grands noms de la bédé. Par exemple, personnellement, j'ai un faible pour la collection "Outsider" qui présente quelques auteurs de la bédé indé US. Mais c'est ainsi, douze titres, et pas plus, pour cet anniversaire. Au-delà du choix des œuvres, je regrette davantage le fait que ces rééditions n'aient pas été "augmentées" de notes, d'appareil critique, de dessins ou de commentaires... La forme a un peu changé, mais vraiment très peu. Jusqu'au visuel de couverture qui reste le même, agrémentée de la mention "Delcourt 25 ans" dont on aurait pu se passer. Je trouve cela un peu tiède pour des éditions "prestige".
L'éditeur remettra ça à la rentrée de septembre pour quelques albums grands formats en version collector, tirés à 2000 ex : Sillage 14, Okko 7, Jour J 7, De cape et de crocs 10, Golden City 9 et le Chant des Stryges 14... Bon.


Toute cette année 2011 sera émaillée de festivités (expositions au centre belge de la BD et au festival de BD de Lausanne, événement au festival du Quai des bulles de Saint-Malo) dont vous trouverez le détail, et même plus, .

vendredi 20 mai 2011

Il faut sauver les Requins Marteaux

Décidément, 2011 commence mochement pour les éditeurs de bédés indépendants... Je viens de recevoir un mail des Requins Marteaux. Édifiant. Stupeflippant. Sont comme qui dirait sur la corde raide. Malgré un beau catalogue et quelques succès (l'excellent Pinocchio de Winshluss en tête...), les Requins ont une production particulière, un peu underground et arty par-ci, un peu musicale par-là, complètement décadente et certainement pas grand public. 
Oui, mais voilà, la qualité et l'exigence ont un prix : le risque de banqueroute. Et c'est tout l'enjeu du message qui suit, direct du QG des Requins Marteaux, retranscrit dans sa totalité.
Sauvons les espèces en danger !


Bonjour à toutes et à tous !

J'espère que vous allez bien. Si je m'adresse à vous aujourd'hui c'est pour vous annoncer une bonne et une mauvaise nouvelle.


Commençons par la bonne... Et bien, la bonne c'est que nous sommes installés sur Bordeaux depuis plus de deux mois et que tout se passe à ravir. L'équipe est en pleine forme, nous avons endigué toutes les dépressions nerveuses et les tentatives de suicide se font de plus en plus rares... C'est sûrement dû à la proximité de la mer !

La ville est accueillante et il n'a fallu que quelques semaines pour s’intégrer au dynamisme culturel bordelais. J'en veux pour preuve l'exposition d'Amandine Urruty à la Mauvaise Réputation qui a pété tous les scores en terme de fréquentation. La première édition de la FMAC 33 (Fondation Meroll pour l’Art Contemporain en Gironde) à la librairie Mollat aura marqué à n’en pas douter les cœurs et les esprits… Il devrait en être de même lors de la future projection de Villemolle 81, notre dernier long métrage, qui sera organisé le 9 juin à l'Utopia.

La mauvaise, vous vous en doutez peut-être déjà c'est que nous sommes dans une sale passe... On peut invoquer pas mal de raisons, la crise qui touche le secteur, des livres de qualité certes mais difficiles et quelque peu onéreux… Mais c’est comme ça ! On aime chacun de nos bouquins et nous sommes extrêmement fiers de ce catalogue qui donne tant de sueurs froides à nos représentants et si peu de satisfaction à notre banquier.

Comment nous en sortir alors ? Nous sommes en train d’explorer plusieurs pistes. Premièrement, il est hors de question de couiner en vous demandant de faire des dons à notre gentille association. Non ! Non ! et re-non!
Pour régler notre problème de trésorerie, qui s’élève tout de même à plus 60 000 € (oui, 60 000), nous allons vous mettre face à vos responsabilités chers amies et amis des Requins Marteaux !
Car ces 60 000€ nous les avons! Nous les avons sous forme de livresde t-shirts et autres bienfaits de la société de consommation. Vous les achetez ? Nous sommes sauvés ! Vous les achetez pas, et bien les Requins Marteaux finissent comme Jimi Hendrix!

Après tout pourquoi pas ? Bon je dis ça mais en même temps, non pas que ça me dérange de mourir dans du vomi et des supers accords de guitare, mais ça me briserait sérieusement les noisettes de fermer boutique !
Alors voilà, tout ce que j’ai à vous offrir, c’est une win-win situation !

Vous achetez nos trucs, on continue d’exister et du coup vous pouvez continuer d’acheter nos trucs et peut-être même vos enfants peuvent à leur tour acheter nos trucs et comme ça tout le monde est content ! Faites ce geste simple et nous serons sauvés… mais pour l’instant tout ce que je peux vous promettre ce sont des larmes et de la sangria !

Dans les jours et semaines à venir, les Requins Marteaux vont vous proposer un nombre impressionnant d’opérations commerciales destinées à renflouer nos caisses. Ventes de livres, d’originaux, projections de films, conférences, concerts, visites surprises chez nos amis libraires Bisous  et patati et patata ! (vous pouvez déjà télécharger notre affiche de soutien ici  et la placarder chez vous ou la distribuer dans la  rue)

Voilà! D'ici quelques mois nous saurons si une activité originale comme la nôtre a encore lieu d'être en 2011.
Et c’est VOUS qui allez en décider… Alors quelle qu'en soit l'issue, tout ceci se terminera dans une Méga Fiesta dont j'ai le secret dans un endroit connu de moi seul !

Bonne chance à nous tous et big bibi de la part de…


FRANKY




Donc moi, je serais vous, j'irais retirer mon épargne retraite à la première vieille dame venue (à la sortie de la Poste en début de mois, ça paie toujours) et je jetterais un oeil au catalogue.
Quelques conseils pratiques :


- Robinet d'amour, d'Amandine Urruty (même si je déteste les filles qui ont du talent)
- Les affaires reprennent, de Morvandiau (même si j'ai horreur des bretons)
- l'Oeil privé, de Blex Bolex (même si j'abhorre les pseudo en -ex)
- RUT, de Yann Taillefer (parce que c'est pas cher pour c'que c'est beau)
- Monsieur Ferraille, de Winschluss et Cizo (si vous arrivez à le trouver, parce que ça tue)
- Supermurgeman, de Mathieu Sapin (parce que merde, quoi)
- la Revanche des palmipèdes, de Martes Bathori (rien que pour les crises d'épilepsie qu'on se tape à lire ses bouquins)
- le Futur est derrière nous..., du Gentil garçon et Morgan Navarro (parce que)
- le Goût du Paradis, de Nine Antico (parce qu'on a tous tous une petite fille à l'intérieur de nous)
- La collection BD Cul, bien sûr, en totalité - 3 tomes pour l'instant (parce qu'on veut lire la suite!)


Et pis oh eh ! J'ai pas tout lu non plus. Et faut que je retourne faire la manche pour me payer Villemolle...

lundi 9 mai 2011

L'arme X - Dossier Serval


"Bon, J'ai gardé tes merdes pendant des années parce que c'était mon devoir 
de mère. Maintenant, tu récupères tes vieux bouquins ou je bazarde tout à la poubelle. Je fais de la place pour faire une VRAIE chambre d'ami.
- De quels bouquins tu parles ?
- Tes Picsou et tes trucs américains, X Men et compagnie.
- QUOI !? Mes Picsou hors-série la Jeunesse de Picsou dessinés par Don Rosa, ma collec' de Strange, le travail de toute une VIE !? Tu f'rais pas ça maman... m'man (voix chevrotante)... tu vas pas briser notre magnifique relation mère-fils pour une... chambre d'ami ? Hein ?
- Tu as une semaine. 
- Je prends le premier vol pour Lann-Bihoué... ingrate."




L'arme X 
de Barry Windsor-Smith
SEMIC
1992
120 pages













Dossier Serval 
de Larry Hama (scénario)
et Marc Silvestri (dessin)
SEMIC
1993
36 pages





Il y a un sentiment bien particulier, que j'imagine être commun à tous les bibliophiles un peu pinailleurs, à retrouver un vieux trésor de jeunesse enfoui dans des cartons de déménagements oubliés. Joie ? Nostalgie ? Nan, c'est plus complexe. L'expérience de la relecture à quelque chose du voyage dans le temps.


C'est ce sentiment que j'ai éprouvé quand j'ai remis la main sur ma collec' de Serval/ Wolverine :  cette excitation qui m'avait poussé à les chercher, numéro après numéro, jusqu'à il y a quelques années, parfois au prix de grandes déceptions. J'ai perdu les enchères sur ebay pour le numéro 1 à plusieurs reprises, à cause des échéances ou de l'envolé des prix (une fois, il avait dépassé les 350 balles. 350 balles !!!). 


Tout ça pour dire que je retrouvai aussi les deux albums RCM (récit complet Marvel) consacrés au personnage le plus emblématique et le plus ténébreux de la sympathique troupe des X Men : Wolverine, Serval in french, aka Logan, aka Le Borgne.





L'arme X explore la partie la plus sombre du personnage, sa genèse : l'expérience menée par le gouvernement américain visant à faire de Logan, un mutant virtuellement immortel, la machine à tuer absolue. Le récit, sombre et sanglant, se décompose en plusieurs strates, entre expérience, flashbacks et hallucinations. Il emporte avec lui quelque chose de Frankenstein à la sauce hi-tech, l'horrible création finissant par se retourner contre son maître.


BWS arrive à créer une ambiance réellement noire, pleine de désespoir, faisant tout à tour entrer et sortir le lecteur de la psyché du cobaye. On compatit, forcément, avec la marionnette et on souhaite qu'elle déchire tous ses ennemis jusqu'au dernier. Surtout le professeur chauve et maigrichon qui est vraiment le plus méchant des supervilains (et pourtant, il a des lunettes).


Fait assez rare dans l'industrie Marvel, BWS est seul aux commandes de son histoire (scénario, dessin, couleur), ce qui en fait un objet d'une grande cohérence graphique et narrative.


Pour ce qui est du Dossier Serval, sa présence ici est davantage anecdotique. D'abord parce qu'il complète l'Arme X, ensuite parce qu'il est de facture plus "classique" (nombre de pages, découpage, etc.). Logan y revient dans la province d'Alberta, Canada, sur les lieux où il a été victime de l'expérience qui lui a donné l'adamantium (métal le plus résistant du monde, je le rappelle) qui recouvre ses os et ses griffes. Ne sachant plus vraiment ce qui lui est arrivé (à cause des implants neuros qui lui ont été posés pour effacer sa mémoire et le contrôler, je le rappelle), il demande au professeur Xavier de sonder son inconscient, même si ça fait peur. Il voyage alors de souvenirs en souvenirs sans savoir ce qui relève de la réalité de sa vie passée ou de la manipulation scientifique. Comprendre que l'amour de sa vie (Silver Fox) n'est qu'un souvenir implanté par un savant fou, ça a de quoi vous faire péter les plombs.




Voilà, c'était mon quart d'heure nostalgique. J'ai quinze ans, j'me rappelle.
J'ai quinze ans et j'veux un scooter.


lundi 2 mai 2011

Tonoharu


de Lars Martinson
le Lézard noir
272 pages

Si vous aimez les films de Kitano sans les comprendre (comment les types font des trucs sans se parler?), êtes un ardent activiste de l'Intercompréhension (je te parle ma langue, tu me réponds dans la tienne et nous nous comprenons), enseignant en ZEP ou simplement adepte des récits tramés d'autobiographie sur un humain perdu au milieu d'autres humains, ce livre, tour à tour, vous fera sourire, compatir, ou vous rendre compte de la richesse d'une misanthropie bien placée.




Daniel Wells est un américain parti vivre au Japon pour y travailler comme assistant scolaire dans le lycée de Tonoharu, en pleine cambrousse. Loin d'y retrouver les fantasmes d'un exotisme qui l'ont poussé au départ, il est confronté à un pays terne, des gens froids et des contacts sociaux difficiles. Daniel se retrouve bien seul, sans comprendre les relations qui se nouent autour de lui -celles des locaux comme des expatriés-, avec un japonais qui semble ne pas vouloir s'améliorer. Il nous raconte une histoire pleine d'introspection et de décalages culturels.




Autoportrait de Lars Martinson
Daniel, c'est un peu l'avatar de l'auteur, Lars Martinson. Ce dernier a vécu une expérience similaire en tant que ALT, assistant language teacher, au Japon. S'il s'en inspire, Lars déclare toutefois que le récit est très fictionnel et que les références biographiques relèvent de l'anecdote. 
Aux États-Unis, en 2008, Lars a opté pour l'autoédition de son livre en deux parties. Celui-ci est publié en France au Lézard noir en un tome (ce qui est bien). L'auteur a également permis à ses lecteurs potentiels de suivre l'avancée de ses travaux sur son site perso (ce qui est bien aussi).


Côté dessin, on retrouve un trait évoquant Chris Ware, Dan Clowes, Kaz ou encore Seth, dans cette rigidité apparente commune à ces auteurs made in US. Le choix de la couleur, la simplicité de composition de la planche, et la texture du dessin qui renvoie à la gravure sur bois, sont autant d'éléments qui appellent à l'austérité, certes, mais qui donnent à l'ensemble comme une intensité vibrante et immobile (ouais, je cherche mes mots, désolé) collant bien à l'histoire et à la psychologie du personnage. East meets West, m'kay?


"Bah, ce n'est pas le même personnage sur les deux planches!", me direz-vous.
Et ben, vous avez qu'à lire.


Un jeune auteur à découvrir, en somme.


À paraître le 19 mai.


Merci à Stéphane Duval pour les images.